LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 412497 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Cosfibel Premium par la SCP Bouzidi - Bouhanna, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-784 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle (partie législative) ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- le décret n° 2010-421 du 27 avril 2010 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
- la décision du Conseil d'État n° 148038 du 13 mars 1996 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations en intervention présentées pour les sociétés NR-COMS et Smartcoms Outsourcing par Me Philippe Derouin, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 7 mars 2019 ;
- les observations en intervention présentées pour la société d'économie mixte de gestion du port Vauban par Mes Richard Foissac et Rita Adady, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 15 mars 2019 ;
- les observations présentées pour la société requérante par Mes Valéry Brisson et Aurélie Carrara, avocats au barreau de Lyon, enregistrées le 19 mars 2019 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations en intervention présentées pour les sociétés NR-COMS et Smartcoms Outsourcing par Me Derouin, enregistrées le 27 mars 2019 ;
- les secondes observations en intervention présentées pour la société d'économie mixte de gestion du port Vauban par Mes Foissac et Adady, enregistrées le 2 avril 2019 ;
- les secondes observations présentées pour la société requérante par Mes Brisson et Carrara, enregistrées le 3 avril 2019 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Brisson, pour la société requérante, Me Derouin, pour les deux premières parties intervenantes, Me Foissac, pour la dernière partie intervenante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts, dans ses rédactions résultant des lois du 1er juillet 1992, du 30 décembre 2008 et du 30 décembre 2009 et du décret du 27 avril 2010 mentionnés ci-dessus.
2. Le c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts, dans ces rédactions, prévoit que donnent lieu à l'application d'une retenue à la source, lorsqu'elles sont payées par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente :« Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ».
3. La société requérante et les sociétés intervenantes soutiennent que les dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant les charges publiques. Faute de prévoir la déduction des charges acquittées par le prestataire, elles taxeraient une assiette brute en méconnaissance de ses facultés contributives. Le principe d'égalité devant les charges publiques serait également méconnu dès lors que, en cas de rappel résultant de l'absence de retenue à la source par le débiteur de la rémunération, la retenue est calculée sur les sommes versées, augmentées du montant de la prise en charge de la retenue à la source par ce débiteur. Deux des sociétés intervenantes se prévalent en outre du principe d'égalité devant la loi, faisant état de deux différences de traitement injustifiées. La première distinguerait les personnes résidentes imposées sur une assiette nette et les personnes non-résidentes imposées sur une assiette brute. La seconde serait établie, au sein des personnes qui n'ont pas d'installation professionnelle permanente en France, entre celles qui, étant par ailleurs assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, peuvent imputer le montant de la retenue à la source et celles qui, non assujetties à ces impôts, ne le peuvent pas. Enfin, certains intervenants font valoir que ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'article 182 B du code général des impôts, qui s'applique sous réserve des stipulations des conventions fiscales, instaure une retenue à la source. Cette retenue, dont le taux est de 33 1/3 %, est calculée, en application des dispositions contestées, sur une assiette brute constituée par les sommes payées par un débiteur, qui exerce une activité en France, à des personnes ou des sociétés relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés n'ayant pas en France d'installation professionnelle permanente, en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. Il appartient au débiteur de la rémunération d'opérer cette retenue et de la verser au Trésor public. En l'absence de versement de la retenue à la source par le débiteur, l'administration est en droit d'exiger de ce dernier un rappel de droits correspondant au montant de la retenue à la source non prélevée. Dans ce cas, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, que l'assiette de la retenue à la source est constituée du montant de la rémunération versée au prestataire étranger augmenté de « l'avantage résultant, pour ce dernier, de ce que la somme reçue n'a pas supporté la retenue ».
7. En premier lieu, en imposant les personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France sur les sommes qu'elles reçoivent en rémunération de leurs prestations fournies ou utilisées en France, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement avec les personnes qui, disposant en France d'une telle installation, sont admises à déduire les charges engagées pour leur activité et ne sont donc imposables que sur leur seul bénéfice.
8. Toutefois, en instituant la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, le législateur a entendu garantir le montant et le recouvrement de l'imposition due, à raison de leurs revenus de source française, par des personnes à l'égard desquelles l'administration fiscale française ne dispose pas du pouvoir de vérifier et de contrôler la réalité des charges déductibles qu'elles ont éventuellement engagées.
9. Dès lors, en faisant peser l'imposition des revenus des personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France sur les sommes qu'elles reçoivent en rémunération de leurs prestations, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi et n'a pas institué une différence de traitement injustifiée.
10. En deuxième lieu, dans le cas d'un rappel résultant du défaut de retenue à la source par le débiteur de la rémunération, l'intégration, dans le montant de l'assiette de la retenue, de l'avantage qu'a constitué, pour le créancier, la prise en charge de la retenue, a pour objet de reconstituer la rémunération brute réellement perçue par le prestataire et d'empêcher ainsi des ententes de nature à minorer le montant de l'impôt.
11. En troisième lieu, en retenant une assiette brute constituée du montant de la rémunération perçue par les personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France, les dispositions contestées ne font pas peser sur ces personnes, compte tenu du taux de 33 1/3 % applicable, une imposition confiscatoire.
12. En dernier lieu, la possibilité d'imputer la retenue à la source sur le montant de ces impôts, qui a pour objet d'éviter les doubles impositions et ne crée donc aucune différence de traitement, ne résulte, en tout état de cause, pas des dispositions contestées.
13. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
14. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts, dans ses rédactions résultant des lois n° 92-597 du 1er juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle (partie législative), n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 et n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 et du décret n° 2010-421 du 27 avril 2010 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 mai 2019, où siégeaient : MM. Laurent FABIUS, Président, Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 24 mai 2019.